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FAMADIHANA LE RETOURNEMENT DES MORTS

MADAGASCAR © ROMAIN ADAM / AGENCE ZEPPELIN

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 Pendant l'hiver austral, les communautés rurales de l'Imerina sont à la fête. Située au cœur de la Grande Île, cette région montagneuse, au climat tempéré, est également la plus peuplée du pays. À partir du mois de mai, les récoltes de riz s'achèvent, tout comme l'année scolaire à partir de la fin juin. C'est le moment que choisissent aînés et astrologues pour honorer leurs ancêtres. « Tout commence dans un songe, au bord d'un lit la nuit, lorsqu'un défunt visite son descendant pour lui dire qu'il ne se sent pas bien, qu'il a froid seul dans son tombeau, qu'il aimerait qu'on s'occupe de lui », ainsi le surnaturel justifie-t-il la tradition. Le famadihana est une cérémonie funèbre déterminée par l'astrologie, mais surtout par l'état des finances familiales. Ainsi, tous les trois, cinq, sept ou neuf ans, les patriarches invitent leurs enfants, leurs cousins, leurs amis, et quasiment tous leurs voisins à les rejoindre. La récurrence est impaire pour évoquer l'incomplétude, ce qui ne finit pas, comme les morts qui continuent « d'appeler les vivants ». Aujourd'hui encore, l'exode rural et la dispersion des habitants n'ont pas diminué leur attachement au berceau territorial. Ils répondent à « l'idéal solidaire du fihavanana, l'indéfectible unité d'un groupe élargi réunissant parents et enfants, vivants et morts, et dont le tombeau collectif est le pivot », explique l'anthropologue et psychanalyste Pierre Pacaud. 

Généreusement arrosé de toaka gasy, ce fameux rhum artisanal, le cortège traverse les rizières jusqu'au tombeau qui les domine. La porte est rapidement descellée, et les plus gaillards s'y engouffrent avec la lampe-torche de leurs smartphones. Dans l'édifice en pierre règne une humidité âcre, le résultat de plusieurs cadavres en décomposition dans un milieu frais et confiné. Cette atmosphère nauséabonde contraste avec l'effervescence des vivants. Ils sont venus nombreux, déployant de grandes nattes pour transporter les morts à l'extérieur, emplissant l'air d'une poussière moisie et collante. Ils ressortent bientôt, encouragés par la fanfare qui joue à pleins poumons. Les proches endeuillés prennent le temps de se recueillir autour des défunts, quand d'autres ravivent de vieilles rancunes. Les corps sont enveloppés dans de nouveaux linceuls en soie, puis allègrement baladés et chahutés avant de regagner leur sanctuaire. « Le contact physique exorcise la répugnance qui fait place à l'indifférence. Le respect craintif cède à la plaisanterie et à la familiarité. On ne redoute plus ces morts que l'on a secoués et faits danser, et l'on compte au contraire sur eux pour vous protéger », décrypte l'anthropologue Jean-François Rabedimy. 

 

En quelques coups de pelle, le cercueil d'une fillette est exhumé. La foule se recueille devant sa dépouille qui était jusque-là « fady » – tabou en malgache. Après deux ans passés sous terre, le corps a partiellement séché, une forme de purification aux yeux de la communauté villageoise qui lui octroie le droit de rejoindre celui de son grand-père qui gît déjà dans le tombeau. Mais pas avant d'avoir retourné les autres cadavres… En Imerina, la vie des morts n'est pas de tout repos. 

 Après avoir pris le temps de se recueillir, enroulé un nouveau linceul autour de la dépouille, et fait cinq fois le tour du site avec, les porteurs regagnent l'intérieur du tombeau familial.

  Quelques jours après sa sixième et dernière cérémonie de la saison, Tahina revient au tombeau (fasana en malgache). Il passe un dernier moment avec ses proches avant le prochain famadihana qui se déroulera dans 5 ou 7 ans. Il reviendra ici avant si un décès survenait dans sa famille. En Imerina, l'exode rural et la dispersion des habitants n'ont pas diminué leur attachement au berceau territorial. 

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